Le cheval a d'abord été domestiqué dans les steppes pontiques-caspiennes, au nord du Caucase, avant de conquérir le reste de l'Eurasie en quelques siècles. Tels sont les résultats d'une étude menée par le paléogénéticien Ludovic Orlando, CNRS, qui a dirigé une équipe internationale, incluant le Muséum National d'Histoire Naturelle, avec des chercheurs du Laboratoire Archéozoologie, Archéobotanique : Sociétés, Pratiques, Environnements (AASPE - MNHN/CNRS). Répondant à une énigme vieille de plusieurs décennies, l'étude est publiée dans Nature.

Le communiqué de presse : https://www.cnrs.fr/fr/lorigine-des-chevaux-domestiques-enfin-etablie

Par qui et où les chevaux modernes ont-ils été domestiqués pour la première fois ? Quand ont-ils conquis le reste du monde ? Et comment ont-ils supplanté la myriade d'autres types de chevaux qui existaient à l'époque ? Ce mystère archéologique de longue date est enfin levé grâce à une équipe de 162 scientifiques spécialisés en archéozoologie, archéologie, paléogénétique et linguistique.

Il y a quelques années, l'équipe de Ludovic Orlando s'était penchée sur le site de Botai, en Asie centrale, qui avait fourni les plus anciennes preuves archéologiques de la présence de chevaux domestiques. Les résultats de l'ADN n'étaient cependant pas conformes : ces chevaux vieux de 5500 ans n'étaient pas les ancêtres des chevaux domestiques modernes1. Outre les steppes d'Asie centrale, tous les autres foyers présumés de domestication, comme l'Anatolie, la Sibérie et la péninsule ibérique, s'étaient révélés faux. L'équipe scientifique a donc décidé d'étendre son étude à l'ensemble de l'Eurasie en analysant le génome de 273 chevaux ayant vécu entre 50 000 et 200 ans avant Jésus-Christ. Parmi eux, des échantillons archéologiques provenant de plusieurs pays, dont la France, la Mongolie et l'Iran, ont été identifiés au Laboratoire Archéozoologie, Archéobotanique : Sociétés, Pratiques, Environnements au Muséum National d'Histoire Naturelle (Noémie Tomadini, Sandrine Grouard, Benoit Clavel, Sébastien Lepetz, Marjan Mashkour, équipe AASPE-MNHN). Tous les échantillons ont été séquencés au Centre d'Anthropobiologie et de Génomique de Toulouse (CNRS/Université Toulouse III - Paul Sabatier) et au Genoscope (CNRS/CEA/Université d'Évry) avant d'être comparés aux génomes des chevaux domestiques modernes.

Cette stratégie s'est avérée payante : si l'Eurasie était autrefois peuplée de populations de chevaux génétiquement distinctes, un changement radical s'était produit entre 2000 et 2200 avant J.-C.. "C'était une chance : les chevaux vivant en Anatolie, en Europe, en Asie centrale et en Sibérie étaient auparavant génétiquement très distincts", note le Dr Pablo Librado, premier auteur de l'étude. Puis, un seul profil génétique, jusque-là confiné aux steppes pontiques (Caucase du Nord)2, a commencé à se répandre au-delà de sa région d'origine, remplaçant en quelques siècles toutes les populations de chevaux sauvages de l'Atlantique à la Mongolie. "Les données génétiques indiquent également une démographie explosive à cette époque, sans équivalent dans les 100 000 dernières années" ajoute le Pr Orlando. "C'est à ce moment-là que nous avons pris le contrôle de la reproduction de l'animal et que nous les avons produits en nombre astronomique".

Mais comment expliquer cette popularité écrasante ? Fait intéressant, les scientifiques ont trouvé deux différences frappantes entre le génome de ce cheval et ceux des populations qu'il a remplacées : l'une est liée à un comportement plus docile et la seconde indique une colonne vertébrale plus solide. Les chercheurs suggèrent que ces caractéristiques ont assuré le succès des animaux à une époque où les déplacements à cheval devenaient "mondiaux".

L'étude révèle également que le cheval s'est répandu en Asie en même temps que les chars à roues à rayons et les langues indo-iraniennes. Cependant, les migrations des populations indo-européennes, des steppes vers l'Europe au cours du troisième millénaire avant J.-C.3, n'ont pas pu se fonder sur le cheval, sa domestication et sa diffusion étant postérieures. Ceci démontre l'importance d'intégrer l'Histoire des animaux dans l'étude des migrations humaines et des rencontres entre cultures.

Cette étude a été dirigée par le Centre d'Anthropobiologie et de Génomique de Toulouse (CNRS/ Université Toulouse III - Paul Sabatier) avec l'aide du Genoscope (CNRS/CEA/Université d'Évry). Les laboratoires français Archéozoologie, archéobotanique : Sociétés, Pratiques, Environnements (MNHN/CNRS), Archéologies et sciences de l'Antiquité (CNRS/Université Paris 1 Panthéon Sorbonne/Université Paris Nanterre/Ministère de la Culture), et De la Préhistoire à l'actuel : culture, environnement et anthropologie (CNRS/Université de Bordeaux/Ministère de la Culture) ont également contribué, ainsi que 114 autres institutions de recherche à travers le monde. L'étude a été principalement financée par le Conseil européen de la recherche (projet Pegasus) et France Génomique (projet Bucéphale).

Résultats précédents du projet Pegasus :

Notes

1 Lire ce communiqué de presse : Unsaddling old theory on origin of horses, 22 February 2018.

2 La steppe pontique est la partie occidentale de la steppe eurasienne. Le foyer du cheval domestique moderne se situerait dans les bassins du Don et de la Volga, à l'est du Dniepr.

3 Par exemple, voir ce communiqué de presse : : 7,000 years of demographic history in France, 25 May 2020.

CONTACTS MNHN:

Sandrine Grouard : sandrine.grouard@mnhn.fr

Marjan Mashkour : marjan.mashkour@mnhn.fr

Noémie Tomadini : noemie.tomadini@mnhn.fr

Benoit Clavel : benoit.clavel@mnhn.fr

Sébastien Lepetz : sebastien.lepetz@mnhn.fr

Référence

Pablo Librado, Naveed Khan, Antoine Fages, Mariya A. Kusliy, Tomasz Suchan, Laure Tonasso-Calvière, Stéphanie Schiavinato, Duha Alioglu, Aurore Fromentier, Aude Perdereau, Jean-Marc Aury, Charleen Gaunitz, Lorelei Chauvey, Andaine Seguin-Orlando, Clio Der Sarkissian, John Southon, Beth Shapiro, Alexey A. Tishkin, Alexey A. Kovalev, Saleh Alquraishi, Ahmed H. Alfarhan, Khaled A. S. Al-Rasheid, Timo Seregély, Lutz Klassen, Rune Iversen, Olivier Bignon-Lau, Pierre Bodu, Monique Olive, Jean-Christophe Castel, Myriam Boudadi-Maligne, Nadir Alvarez, Mietje Germonpré, Magdalena Moskal-del Hoyo, Jarosł aw Wilczyński,  Sylwia Pospuła, Anna Lasota-Kuś, Krzysztof Tunia, Marek Nowak, Eve Rannamäe, Urmas Saarma, Gennady Boeskorov, Lembi Lōugas, René Kyselý, Lubomir  Peške, Adrian Bălășescu, Valentin Dumitrașcu, Roxana Dobrescu, Daniel Gerber, Viktória Kiss, Anna Szécsényi-Nagy, Balázs Mende, Zsolt Gallina, Krisztina Somogyvári, Gabriella Kulcsár, Erika Gál, Robin Bendrey, Morten Allentoft, Ghenadie Sirbu, Valentin Dergachev, Henry Shephard, Noémie Tomadini, Sandrine Grouard, Aleksei Kasparov, Alexander E. Basilyan, Mikhail A. Anisimov, Pavel A. Nikolskiy, Elena Y. Pavlova, Vladimir Pitulko, Gottfried Brem, Barbara Wallner, Christoph Schwall, Marcel Keller, Keiko Kitagawa, Alexander N. Bessudnov, Alexander Bessudnov, William Taylor, Jérome Magail, Jamyian-Ombo Gantulga, Jamsranjav Bayarsaikhan, Diimaajav Erdenebaatar, Tabaldiev Kubatbeek, Enkhbayar Mijiddorj, Bazartseren Boldgiv, Turbat Tsagaan, Mélanie Pruvost, Sandra Olsen, Cheryl Makarewicz, Silvia Valenzuela Lamas, Silvia Albizuri Canadell, Ariadna Nieto Espinet, Mª Pilar Iborra, Jaime Lira Garrido, Esther Rodríguez González, Sebastián Celestino, Carmen Olària, Juan Luis Arsuaga, Nadiia Kotova, Alexander Pryor, Pam Crabtree, Rinat Zhumatayev, Abdesh Toleubaev, Nina L. Morgunova, Tatiana Kuznetsova, David Lordkipanize, Matilde Marzullo, Ornella Prato, Giovanna Bagnasco, Umberto Tecchiati, Benoit Clavel, Sébastien Lepetz, Hossein Davoudi, Marjan Mashkour, Natalia Ya. Berezina, Philipp W. Stockhammer, Johannes Krause, Wolfgang Haak, Arturo Morales-Muñiz, Norbert Benecke, Michael Hofreiter, Arne Ludwig, Alexander S. Graphodatsky, Joris Peters, Kirill Yu. Kiryushin, Tumur-O. Iderkhangai, Nikolay A. Bokovenko, Sergey K. Vasiliev, Nikolai N. Seregin, Konstantin V. Chugunov, Natalya A. Plasteeva, Gennady Baryshnikov, Ekaterina Petrova, Mikhail Sablin, Elina Ananyevskaya, Andrey Logvin, Irina Shevnina, Victor Logvin, Saule Kalieva, Valeriy Loman, Igor Kukushkin, Ilya Merz, Victor Merz, Sergazy Sakenov, Victor Varfolomeyev, Emma Usmanova, Viktor Zaibert, Benjamin Arbuckle, Andrey B. Belinskiy, Alexej Kalmykov, Sabine Reinhold , Svend Hansen, Aleksandr I. Yudin, Alekandr A. Vybornov, Andrey Epimakhov, Natalia S. Berezina, Natalia Roslyakova1, Pavel A. Kosintsev, Pavel F. Kuznetsov, David Anthony, Guus J. Kroonen, Kristian Kristiansen, Patrick Wincker, Alan Outram, Ludovic Orlando. 2021-04-06571B will be published in the 28 October 2021.  The origins and spread of domestic horses from the Western Eurasian steppes, Nature, 18 p. 4 figs. 7 extended figs, + sup. data. 49 p. 10.1038/s41586-021-04018-9. - URL: https://www.nature.com/articles/s41586-021-04018-9  Impact Factor 42.778, ISI indexed

Publié le : 20/10/2021 10:50 - Mis à jour le : 22/10/2021 13:18