Il y a 10 000 ans à Chypre, les premiers néolithiques ont domestiqué le sanglier endémique de l’île, trois millénaires après son introduction par des chasseurs cueilleurs.

Chypre est une île océanique qui fut toujours à bonne distance maritime (70-80km) des côtes du Proche-Orient où les premières domestications des plantes et des animaux eurent lieu il y a 11 000 ans. Néanmoins les recherches archéologiques récentes ont montré que malgré cet éloignement insulaire, Chypre n’a jamais été déconnectée de  l’effervescence culturelle et technologique liée à l’émergence de l’agriculture dans le foyer proche-oriental. Dans cette étude issue du laboratoire  »archéozoologie, archéobotanique » du CNRS et du Muséum National d’Histoire Naturelle (AASPE), c’est l’histoire de l’origine et de l’évolution d’une population de sangliers vivants à Chypre à cette période, mais aujourd’hui éteinte, qui éclaire une fois de plus l’importance de cette île pour mieux comprendre les débuts du grand basculement de l’anthropocène.

Des études précédentes avaient montré qu’il y a environ 12 000 ans, des communautés de chasseurs cueilleurs venues du continent proche avaient introduit des sangliers sur l’île pour la peupler en gibier. En effet les hippopotames nains qui y proliféraient au Pléistocène étaient éteints depuis peu. Ce qui suggérerait que ces populations pratiquaient sur le continent, et dès cette époque, un contrôle ou une gestion des populations de sangliers. D’autres études archéozoologiques ont montré qu’il y a 10 000 ans, des hommes du Néolithique précéramique ont introduit d’autres animaux sur l’île, sous forme domestique comme la chèvre, la vache puis  le mouton, ou sous forme sauvage comme le daim de Mésopotamie. Mais qu’en est-il du cochon ? Les données paléodémographiques suggèrent clairement des pratiques d’élevage sur les suinés vers 10 000 BP, mais toute la question était de savoir si elles s’appliquaient à des cochons déjà domestiqués  introduits du continent, ou bien si les communautés néolithiques chypriotes s’étaient engagées dans un processus de domestication des populations de sangliers insulaires ?

Faute d’une bonne conservation de l’ADN dans les ossements archéologiques de Chypre, les chercheurs de AASPE ont utilisé la morphologie virtuelle et la morphométrie géométrique des dents et d’un os du tarse (calcanéum) des sangliers de Chypre, entre 11 000 et 9 000 avant notre ère, pour reconstituer l’origine et l’évolution de ces sangliers insulaires. Ces analyses ont montré que ce sanglier insulaire présentait des caractères dentaires particuliers qui le distinguaient nettement des populations néolithiques continentales. Cette divergence évolutive, a amené les chercheurs à la proposer de nommer cette sous espèce insulaire Sus scrofa circeus, le sanglier de Circé, en référence au mythe homérique de la déesse Circé qui transforma les compagnons d’Ulysse en porcins. En outre, les analyses ont montré que la morphologie du sanglier de Circé resta stable sur les 3000 ans que dure le Néolithique précéramique, suggérant ainsi qu’il n’y a pas eu d’apports de populations domestiques depuis le continent. Enfin l’analyse de l’os du talon, le calcanéus, a quant à elle permis d’identifier la présence d’individus élevés en captivité à partir de 9000 BP. Ces trois éléments de preuve, associés aux données paléodémographiques, suggèrent donc fortement que les communautés néolithiques chypriotes ont domestiqué le sanglier de Circé, s’inscrivant pleinement et sans délai dans la dynamique domesticatoire du Levant.

Publié le : 01/06/2021 14:25 - Mis à jour le : 01/06/2021 14:25