Est-ce que la croissance en captivité d’un mammifère sauvage né dans son milieu naturel peut-elle laisser une empreinte dans la structure des os de ses membres ? Et comment cette empreinte se distingue-t-elle de la reproduction sélective de l’élevage des deux cents dernières années ? Répondre à ces questions pourrait permettre d’obtenir des marqueurs morphologiques pour traquer les processus de domestication animale dans le registre archéologique, jusqu’alors inaccessibles aux archéozoologues et repousser ainsi le temps des premières domestications animales.

Afin de répondre à ces questions, une équipe de recherche pluridisciplinaire dirigée par Thomas Cucchi (AASPE) a réalisé une expérimentation sur le sanglier à la réserve de la Haute Touche (MNHN) où des jeunes marcassins capturés à l’âge de 6 mois ont été élevé en captivité jusqu’à l’âge de 2 ans. Dans le cadre de cette étude parue pour la revue Scientific Reports, les chercheurs ont comparé la cartographie morphométrique de l’épaisseur corticale de la diaphyse de l’humérus ainsi que la force musculaire des sangliers captifs avec celles de sangliers chassés issus de la même population et d’autres populations à l’échelle de la France, ainsi que des cochons issus de races d’élevage traditionnel et industriel.

La diaphyse des os des membres se modelant et se remodelant au cours de la vie d’un mammifère en fonction de son activité musculaire et des contraintes mécaniques de son environnement, l’hypothèse de cette étude était que les sangliers captifs ne pouvant exprimer l’ensemble du répertoire locomoteur des sangliers dans leur milieu naturel, l’épaisseur corticale de leur humérus et leur force musculaire devaient être réduites par rapport à celles des sangliers chassés. Elles devaient être aussi différentes de celles des cochons domestiques, dont la sélection pour production accélérée de masse musculaire a entrainé des changements dans leur locomotion.

Les résultats montrent que la masse corporelle et l’âge jouent un rôle majeur dans l’épaisseur corticale des sangliers. Mais aussi que contrairement à l’hypothèse de départ, les sangliers captifs ont une épaisseur corticale et une force musculaire plus importantes que les sangliers chassés. Ce que les chercheurs expliquent pour l’instant par le gain de poids des sangliers nourris en captivité et leur activité musculaire stéréotypée qui a pu accroitre la production de muscles de type 2.

L’autre résultat majeur est que l’empreinte de l’activité musculaire sur l’épaisseur corticale des sangliers captifs se distingue clairement de celle des sangliers chassés et des cochons issus de l’élevage traditionnel et industriel. Ces résultats apportent la preuve qu’un changement de mode de vie induit par la captivité entraine des changements quantifiable de la structure interne de l’os, offrant ainsi de nouvelles perspectives méthodologique pour l’étude des processus de domestication en archéologie. Ils nous indiquent également que la prise de poids en confinement n’est pas si dommageable pour la robustesse osseuse…

Harbers et al. 2020, Investigating the impact of captivity and domestication on limb bone cortical morphology: an experimental approach using a wild boar model", Scientific Reports 10:19070

https://doi.org/10.1038/s41598-020-75496-6

Voir aussi: https://inee.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/mesurer-leffet-de-la-captivite-et-de-la-domestication-sur-la-morphologie-osseuse-des

Publié le : 05/11/2020 08:55 - Mis à jour le : 19/11/2020 09:11