François Poplin nous a quittés le 20 avril 2024 à l’âge de 81 ans (date anniversaire des adieux de Fontainebleau, aurait-il, peut-être, dit avec humour !).
François Poplin était un chercheur "encyclopédiste", un enseignant et un collègue atypique, sans frontière intellectuelle, bouillonnant d’idées. Même s'il était parfois difficile de suivre les linéaments de sa pensée, il aura été et reste un grand inspirateur d'idées. Homme de caractère, travailleur acharné, capable de grande générosité, il a fait preuve jusqu’à ses dernières heures d’un enthousiasme et d’une acuité sans limites. En cela, il reste un modèle pour beaucoup, au Muséum et peut-être plus encore, ailleurs, en France comme au-delà de nos frontières. Il a joué un rôle majeur dans notre communauté en promouvant, souvent avant l’heure, une approche globale naturaliste et anthropologique des relations entre les hommes et les animaux, dans leurs dimensions historiques et en cherchant à tendre vers une perception universelle du fait anthropologique. Retraité depuis décembre 2008, il est resté directeur honoraire de l’UMR « archéozoologie, archéobotanique » et attaché honoraire du Muséum national d'Histoire naturelle.
François Poplin est né à Auxerre, dans l'Yonne, en 1943. La Bourgogne est une composante forte de son identité. Fils d’un professeur d’histoire-géographie, F. Poplin rencontre l’archéologie en 1955 puis en 1958 sur les fouilles d’Escolives conduites par Raymond Kapps et d’Arcy-sur-Cure, dirigées par André Leroi-Gourhan. Il y apprend beaucoup du grand anthropologue et cherchera plus tard, dans les fouilles de la Roche-aux-Loups (Merry-sur-Yonne) qu’il dirigera durant les années 1980, à suivre ce modèle d’expérience de terrain et de pensée collective, où se mêlent les générations.
Malgré son intérêt pour l'archéologie, F. Poplin étudie la médecine vétérinaire à Lyon, avec pour maître le grand professeur anatomiste Robert Barone. Il soutient en 1966 une thèse de doctorat intitulée Recherches sur la biométrie du globe oculaire des mammifères domestiques. Médecin vétérinaire dans le Berry, il continue ses études pour soutenir 1972 une thèse de doctorat intitulée Contribution à la morphologie et à la biométrie d'Alopex lagopus (Linné) et de Vulpes vulpes (Linné). Les renards d'Arcy-sur-Cure.
Engagé la même année comme assistant au Laboratoire d'Anatomie comparée du Muséum national d'Histoire naturelle de Paris, il est l’un des rares à s’intéresser avec compétence aux collections ostéologiques, tombées en désuétude depuis cinquante ans. Durant la décennie suivante, il va réinventorier, réassembler et identifier ces squelettes abandonnés, en parallèle de l’analyses des ossements animaux de nombreux sites, paléolithiques ou néolithiques, en Allemagne comme en France. Ce faisant, il contribuait de façon significative à fonder une vision palethnographique de l’ostéo-archéologie, de l’archéozoologie et de la taphonomie, qu’il a largement transmise à de nombreuses générations d’étudiants et de collaborateurs et qui anime encore aujourd’hui la communauté nationale concernée. En 1976, il intègre le cercle encore très étroit du comité international de l’International Council for Archaeozoology (ICAZ) où il partage la représentation française avec Pierre Ducos. Il considérait que son titre de Président du Comité d’Honneur du 11e congrès de l’ICAZ, principalement organisé par C. Lefèvre et J.-D. Vigne en 2010 au Jardin des Plantes et rassemblant plus de 800 participants, était le meilleur hommage qui pouvait lui être rendu.
Au tournant des années 1980, épaulé par un petit groupe de jeunes chercheurs implantés au Laboratoire d’Anatomie comparée et souvent très liés à l’Université Panthéon-Sorbonne où F. Poplin enseignait, il fonda « L’homme et l’animal » (HASRI), association éditrice du périodique Anthropozoologica et organisatrice de nombreux colloques bouillonnants d’idées, très fréquentés par les ethnozoologues du Muséum et par les membres de Société d’Ethnozootechnie. Il est aussi à l’origine du programme de recherche coopérative "Animal, os et archéologie" (RCP 717) soutenu par le CNRS, embryon de ce qui deviendra en 1990, sous sa direction, l’unité de recherche associée du même nom, aujourd’hui l’UMR « Archéozoologie, archéobotanique », qui a contribué à la formation et à l’animation d’une importante part de la communauté scientifique nationale des bioarchéologues, la plus importante au monde.
Dès le début des année 1980, la démarche intellectuelle de François Poplin s'oriente vers l'anthropozoologie, interrogeant les dynamiques historiques des relations entre l'homme et l'animal, non seulement à travers les ossements et les objets que l’on peut en tirer mais aussi à travers les bestiaires, les textes, les langues... Son immense culture et sa surprenante créativité lui permirent de féconder ce domaine alors presque vierge, ce qu’il traduisit, à partir de 1994, par l’animation au Muséum national d'Histoire naturelle, d’un cycle de séminaires sur "L'histoire naturelle et culturelle des animaux vrais".
F. Poplin est l’auteur de centaines d’articles allant de la description de nouveaux taxons à l’analyse de la vision des animaux par Jules Renard, en passant par l’analyse de provenance et stylistique de centaines de pièces historiques en ivoire ou en os, domaine dans lequel il est une référence internationale. La plupart des titres sont publiés dans des périodiques non indexés et écrits en français, mais dans un style remarquable où chaque mot est pesé, réfléchi, choisi. De l'anatomie à la paléontologie et à la préhistoire, le travail de François Poplin s'étend à l'histoire, à l'ethnologie, à l'anthropologie, de l'archéozoologie à l'anthropozoologie. Il a beaucoup voyagé pour visiter de nombreuses collections et musées, (ré)identifier les matières dures d’origine animale ou végétale, expliquer les techniques utilisées pour créer les objets. Le musée du Louvre a fait appel à son expertise à de nombreuses reprises, et son nom aurait dû figurer comme auteur principal du catalogue de l'exposition de 2004 sur les ivoires, de l'Orient ancien à l'époque moderne, ainsi que sur de nombreux cartels d'objets exposés dans divers musées. Un cas parmi tant d’autres où, trop soucieux de courir après mille nouveautés, mille enquêtes en cours depuis des années, F. Poplin s’est plus attaché aux défis intellectuels qu’à sa visibilité ou à sa carrière. Pour autant, il veillait à ce que sa production soit connue et il envoyait régulièrement une actualisation de sa liste bibliographique. Pour qu’elle ne soit pas occultée et que la production intellectuelle de François Poplin puisse continuer à jouer son rôle de terreau fertile pour les plus jeunes générations, elle est consultable dans son intégralité sur le site de l’unité (AASPE). Il en sera prochainement de même de son abécédaire de l’anthropozoologie, entretiens filmés en 2023 dans le cadre des archives de l’unité.
Jean-Denis VIGNE
pour l'UMR Archéozoologie, archéobotanique : sociétés, pratiques, environnements (CNRS-MNHN)