Mobilité et adaptation des chiens au sein des premières sociétés agricoles

Présentation
  • Financement : Projet fédérateur du département Homme & Environnement, MNHN - 2019
  • Responsable : Stéphanie Bréhard (brehard@mnhn.fr)
  • Participants : Christine Lefèvre (lefevre@mnhn.fr), Céline Bon (UMR 7206 ; celine.bon@mnhn.fr), Morgane Ollivier (UMR 6553 ECOBIO, Rennes ; morgane.ollivier@univ-rennes1.fr), Aurélie Manin (University of York ; aurelie.manin@york.ac.uk) et Christophe Hitte (UMR 6290 IGDR, Rennes ; Christophe.Hitte@univ-rennes1.fr

    Les études portant sur l’origine de la domestication du chien suggèrent l’existence d’un processus initié dès la fin du Paléolithique et impliquant différentes populations de loups et des foyers d’origine divers, en particulier l’Europe de l’Ouest et l'extrême Orient [1]. On estime que ces événements ont eu lieu respectivement avant 15 000 cal. BP et avant 12 000 cal. BP. Les mouvements de populations au cours des millénaires suivants ont entraîné une dissémination des animaux ainsi domestiqués à travers le monde.

    Récemment, une collaboration entre archéologues, archéozoologues et paléogénéticiens, comprenant une forte implication des chercheurs du MNHN (UMR 7209), a permis de mettre en évidence un lien entre la néolithisation de l’Europe et l’introduction d’une lignée de chien spécifique (haplogroupe D), probablement originaire du Proche-Orient [2]. Elle a également permis de montrer que les chiens se sont adaptés au mode de vie des premières sociétés agricoles eurasiennes en développant une meilleure capacité à digérer l’amidon, donc les aliments constitués de céréales ou de légumineuses, grâce à l’augmentation du nombre de copies du gène Amy2B [3].

    Les chiens atteignent l’Amérique autour de 10 000 cal. BP, accompagnant les groupes humains dans leur migration depuis l’Asie via le détroit de Behring [4]. L’analyse du génome mitochondrial montre que cette lignée de chiens anciens présente une proximité avec les chiens arctiques actuels dont le régime alimentaire est typique des chiens de chasseurs-cueilleurs (faible nombre de copies du gène Amy2B [5]). Si l’introduction des premiers chiens en Amérique est associée à des chasseurs-cueilleurs [6], sa diffusion vers le sud du continent serait liée au développement des sociétés agricoles [7]. Bien qu’aucune étude phylogéographique n’ait permis de documenter finement les trajectoires de diffusion des chiens à travers l’Amérique de manière équivalente à ce qui a été fait en Eurasie [2], une première étude réalisée avec l’appui d’une ATM blanche du MNHN (projet XOLOTL, 2016) a montré une première tendance évolutive suivant une diffusion Nord-Sud [8].

    Cette lignée précolombienne de chiens se serait adaptée aux sociétés agricoles, de manière analogue à ce que l’on observe dans le Néolithique eurasiatique. L’analyse isotopique d’ossements de chiens retrouvés dans les sociétés agricoles préhispaniques d’Amérique centrale (1000 BC-AD 250) montre en effet des régimes alimentaires variés, y compris la consommation d’une forte proportion de maïs [9], ce qui suggère une adaptation particulière permettant de digérer l’amidon, comme en Europe.

    Alors que la domestication du chien se place dans un contexte de chasseurs-cueilleurs [10], cette association entre agriculture et populations canines ouvre la voie à de nouvelles recherches relatives notamment à l’adaptation de ces animaux aux modes de vie des sociétés agricoles. L’objectif d’AgroCanis est donc de poursuivre les recherches en cours dans le contexte néolithique européen et proche-oriental et d’amorcer une étude comparative avec le contexte néolithique et proto-historique américain. Afin de pouvoir comparer ces deux contextes, la première étape consiste à identifier la composition et la provenance des cortèges de chiens associés aux groupes d’agriculteurs-éleveurs ou d’horticulteurs/agriculteurs. Nous proposons donc d’effectuer une étude phylogéographique à partir des génomes mitochondriaux des chiens associés à ces contextes.

    Cette étude permettra 1) de compléter et d’approfondir nos connaissances en Europe où les données se limitent à de courtes séquences mitochondriales et 3 génomes anciens complets [1, 2, 11] ; 2) d’obtenir des données inédites en Amérique centrale et du sud, où là aussi les courtes séquences restent majoritaires [8]. Ces résultats permettront de documenter ou d’affiner notre connaissance des dynamiques de diffusion des chiens par les premières sociétés agricoles dans les deux systèmes (Europe et Amérique tropicale).

    Nous prévoyons de poursuivre les objectifs d’AgroCanis avec le dépôt en 2019 d’un projet ERC Starting Grant auprès de l’Union européenne. L’ADN extrait au cours du projet Agrocanis servira de matrice pour des analyses du génome nucléaire ciblant des gènes et mutations spécifiques pouvant varier selon l’adaptation des chiens au mode de vie des premières sociétés agricoles. Ces futures analyses permettront également de mieux comprendre les phénomènes de convergence et de divergence évolutive entre les systèmes européens et américains.

Références
  • [1] Frantz et al. 2016 Science.
  • [2] Ollivier, Tresset et al. 2018 Biology Letters.
  • [3] Ollivier et al. 2016 Royal Society Open Science.
  • [4] Ní Leathlobhair et al. 2018 Science.
  • [5] Arendt et al. 2016 Heredity.
  • [6] Perri et al. 2018 bioRxiv.
  • [7] Prates et al. 2010 Current Anthropology.
  • [8] Manin et al. 2018 Journal of Archaeological Science.
  • [9] White et al. Journal of Archaeological Science.
  • [10] Larson et al. 2012 PNAS.
  • [11] Botigüe et al. 2017 Nature Communications.
Publié le : 04/04/2019 15:54 - Mis à jour le : 04/04/2019 15:56